Corinne Lepage: la pieuvre nucléaire
La décision annoncée par le Président de la république de construire un
deuxième EPR révèle s’il en était besoin, la gravité de la situation
française au regard du fait nucléaire. Notre prisme de plus en plus
déformé à l’égard de l’industrie nucléaire est en passe de nous plomber
sur le plan intérieur comme sur le plan international.
Entendons
nous bien. Il ne s’agit pas de sortir du nucléaire ou de contester le
nucléaire a priori même si nos élites ont la fâcheuse habitude de nier
tout inconvénient. Il s’agit de mesurer les ravages que le choix
aujourd’hui de l’EPR va provoquer dans le domaine de l’économie, de la
recherche, de la gouvernance,et de la politique étrangère.
Sur le
plan économique d’abord, la réalisation d’un puis de deux EPR, sans
aucune étude d’impact économique et sociale préalable aboutit à
préférer créer 400 emplois là où la même somme, soit 2 fois 3,5
milliards d’euros aurait permis, si elle avait été investie dans les
énergies renouvelables d’en créer entre 50 et 100 000. De plus, la
création de ce deuxième EPR, alors qu’EDF elle-même indique que nous
n’en n’avons aucun besoin avant 2020, va ruiner l’industrie et l’effort
naissant en faveur du renouvelable, directement concurrent du
nucléaire. Car le nucléaire ne nous apporte rien pour remplacer le
pétrole dans le transport et a été un formidable encouragement au
gaspillage énergétique, au retard français dans le développement de
l’efficacité énergétique et l’industrie du renouvelable qui dopent
l’économie de nos voisins. Les mêmes causes produisant les mêmes
effets, cette décision de surcapacité volontaire va tuer l’intérêt
économique des énergies alternatives puisque EDF ou Suez devront vendre
leur électricité nucléaire qui ne se stocke pas et a une efficacité
énergétique très faible.
Alors pourquoi cette précipitation alors
même que les immenses difficultés rencontrées par Areva dans la
construction de l’EPR en Finlande comme à Flamanville justifierait au
contraire une réflexion de fond sur la filière de troisième génération ?
Il faut chercher la réponse non pas dans une nécessité énergétique qui
n’existe pas ou qui justifierait une solution en faveur des ENR mais
dans le mécano financiaro-industriel consistant à permettre à Bouygues
de mettre la main sur Areva après avoir marié GDF et Suez sur le dos
des abonnés au gaz qui ont et continuent à payer la facture . Cette
décision s’inscrit donc dans le choix de privatiser l’énergie y compris
le nucléaire, la création d’un nouvel EPR étant destiné à orner la
corbeille de la mariée. Or, cette privatisation nous fait courir un
risque immense en terme d’indépendance nationale et de sécurité Alors
que l’Allemagne s’interroge sur les fuites de radioactivité d’un de ses
laboratoires souterrains, a-t-on imaginé ce que représenterait pour
l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire françaises un problème de
cette nature ?
Mais, les effets pervers ne s’arrêtent
malheureusement pas là. En effet, le fléchage de l’immense majorité des
crédits publics vers le secteur nucléaire et le CEA privent de moyens
des pans entiers de la recherche française en particulier dans les
nouvelles énergies et focalisent par exemple sur le plateau de Saclay,
les moyens quia auraient pu aller vers les universités.