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Entre Crau et Camargue
26 octobre 2008

Conférence Nationale : discours de clôture de François BAYROU

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Chers amis,

La matinée a été si riche, si intéressante, que nous n'avons exactement qu'une heure de retard sur notre horaire ! Ce qui fait que, naturellement, j'ai un devoir de concision , je vais essayer de remplir ce devoir.

Je dis aux journalistes que je serai naturellement obligé de survoler un peu rapidement le discours qu'ils ont entre les mains, mais la substance sera la même. Elle sera d'ailleurs -et c'est ma première réflexion- la même que ce que nous avons entendu tout au long de la matinée ; parce que ce qui était frappant dans ce mouvement politique nouveau, c'était l'extraordinaire cohérence tout au long ds débats, la logique identiquement suivie et respectée que tous les intervenants de la salle et de la tribune, de l'intérieur et de l'extérieur, ont développée devant vous.

Cela prouve que ce mouvement n'est pas une création, mais une révélation.

Vous me direz que j'avais quelques raisons de le savoir, parce qu'ayant vécu d'un peu près la campagne présidentielle, je savais que ce qui a été une surprise pour beaucoup de personnes, ce n'était pas autre chose que l'affirmation, l'incarnation d'un courant politique qui existait et qui ne demandait qu'à se faire entendre et à gagner.

C'est ce courant politique que l'on a entendu ce matin et je vous promets que s'il s'affirme avec cette force, les Français vont le rejoindre et qu'il va changer la face des choses.

Vous savez, c'est une société très paradoxale dont nous sommes amenés à prendre une partie de la responsabilité. C'est une société consumériste, c'est une société à qui l'on peut faire entendre qu'il n'y a que le matériel qui compte… Et en même temps je me disais en préparant cette intervention de clôture, qu’au fond ce qui aura marqué la semaine pour beaucoup de Français, ce n'est pas tant la crise dont ils ont entendu parler depuis des mois, que le visage de sœur Emmanuelle qui aura été, pour eux, une émotion profonde et ressentie ; comme le visage de l'Abbé Pierre au moment où il s'en est allé avait été, pour eux, quelque chose de précieux et qui les a touchés au coeur de leur vie.

Il y a donc une attente au sein de nos sociétés, une attente de quelque chose qui dépasse le matériel, le mécanique, le financier, le consumériste. Il y a quelque chose d'autre et, tout au long de la matinée, dans la réflexion que nous avons conduite sur la nécessité d'une révolution morale ou sur la nécessité d'une analyse éthique, ou sur le besoin de porter un idéal européen… vous avez bien senti bien que c'est à cela aussi que nous nous accrochons, parce que nous pensons que c'est au fond le seul élément qui va donner à notre société, pas seulement une structure, mais une âme et, pour nous, les âmes sont plus importantes ou aussi importantes que les structures.

Une crise centennale

Cela dit, nous vivons un moment historique de dimension séculaire. Je disais ce matin que c'est comme pour les inondations. Les élus locaux savent bien que, quand ils font un plan contre les inondations, il y a des inondations décennales et des inondations centennales. On dit cela pour la vague aussi. Il y a la vague décennale et la vague centennale.

La crise que nous vivons est une crise à la dimension du siècle. C'est une crise qui ne prend toute sa portée, tout son sens -cela a été dit ce matin par plusieurs orateurs- que si on la met en relation avec l'identique crise ou l'identique vague qui en 1989  -il y a vingt ans exactement- a emporté le socialisme soviétique.

Les deux modèles, le modèle soviétique et le modèle capitaliste, sont en train de rencontrer une crise dont, je crois, ni l'un ni l'autre ne se relèvera, en tout cas ne pourra se relever à l'identique.

C'est sur ce point que je voudrais m'arrêter un instant pour vous dire que, contrairement au discours officiel, je ne crois pas plus à la refondation du capitalisme que je ne crois à la refondation du socialisme.

Je voudrais, m'arrêtant une seconde sur ce sujet, vous dire que ce n'est pas un accident historique, la crise de l'un et la crise de l'autre. C'est la crise et l'échec de l'idée fondamentale qui animait chacun des deux systèmes.

Je veux m'arrêter un instant sur la crise du socialisme qui est tombé en même temps que le mur de Berlin. Son idée source était que l'État qui était bon pouvait décider à la place des gens, substituer ses décisions forcément bien inspirées aux décisions multiples et libres de la société. Cette idée s'est révélée fausse et tragique et elle a entraîné, par le fond, les pays qui avaient décidé de l'appliquer.

L'idée fondamentale que le capitalisme portait, celle qui a échoué aussi, son postulat fondamental était que la somme des intérêts particuliers faisait l'intérêt général. Ce postulat s'est révélé faux.

Je ne sais pas si vous avez suivi ce moment, mais pour ceux qui sont familiers d'internet (et il y en a beaucoup dans cette salle) il faut que vous alliez voir une scène incroyable qui était l'audition devant le Sénat américain de l'homme qui a symbolisé cette certitude en acier, en béton armé, du capitalisme américain, Alan Greenspan, puisque c'est de lui dont il s'agit.

On disait « l'économiste des économistes », le « maestro », le « sorcier ». Quand je dis « on disait » en employant l'imparfait, c'est parce que c'était le cas il y a encore quelques mois. Cet homme était cité en exemple partout. Il a été entendu sur le sujet de la crise par le Parlementaire américain.

C'était fascinant parce qu'il ne s'agissait pas d'une analyse d'idées générales, de théories, mais d'une tragédie humaine.

Cet homme au visage décomposé, un homme dont toutes les croyances et tous les piliers de sa vie, à 82 ans, se sont écroulés, a dit cette phrase qui est à peu près la même que celle que je viens de dire devant vous : « Je croyais que les banquiers seraient assez conscients de leur propres intérêts, de leur propre sécurité pour assurer la sécurité de l'ensemble ». Il a dit appliquer à la banque ce théorème qui était celui du capitalisme dominant, à savoir que la somme des intérêts particuliers faisait l'intérêt général.

Eh bien ceci s'est révélé faux.

Je veux vous rappeler que c'était l'affirmation que nous avons portée devant les Français pendant la campagne présidentielle et, du coup, au passage on relit évidemment différemment toutes les polémiques de ces dernières années et que je veux vous rappeler. Toutes les polémiques portées par les dirigeants français contre la banque européenne, en citant en exemple la baisse des taux d'intérêt par la banque centrale américaine, en demandant, en exigeant, en mettant en demeure les dirigeants de la banque européenne de bien vouloir suivre l'exemple de M. Greenspan -dans une citation inédite et que je ne connaissais pas mais qui était incroyablement éclairante- on nous proposait le modèle des prêts hypothécaires américains comme le modèle à suivre pour notre pays.

Eh bien, heureusement qu'il y a eu des Européens pour résister, qu'il y a eu des responsables européens et, excusez-moi de le dire, heureusement qu'il y a une Banque Centrale Européenne pour résister aux facilités et au laxisme qui on conduit les États-Unis là où ils en sont. 

Modèle américain, modèle européen

Heureusement que la banque indépendante n'a pas écouté les gouvernants français dans leurs certitudes. Je dis cela, car la confrontation entre le modèle américain et le modèle européen est au cœur des années que nous venons de passer et des années que nous allons vivre.

Je sais très bien que, pendant la campagne présidentielle, un certain nombre d'entre vous -et même un certain nombre de ceux qui m'entouraient- ne comprenaient pas pourquoi je faisais de cette question du modèle américain un point de séparation et de confrontation avec Nicolas Sarkozy.

J'étais persuadé depuis longtemps que, si ce modèle qui voulait dominer la globalisation de manière définitive était en contradiction formelle, flagrante, choquante et violente avec la vocation française et avec les choix de valeurs qui étaient les nôtres. Pour ceux que cela intéresse, il y a un article de Jean-Claude Casanova, dans la revue « Commentaires » que vous trouverez sans doute sur notre site, de l'été 2007 et qui reprend cette argumentation.

Il y avait, là, un conflit qui n’était pas seulement un conflit de société, mais qui était proprement un conflit de civilisation, et je suis très fier que nous l'ayons dit à cette période cruciale.

Je veux reprendre, car c'est étroitement lié à la question des subprimes, l'analyse que j’ai beaucoup aimée que Michel Camdessus a développée s'agissant des subprimes. Mmais je me demande si l'on ne peut pas remonter encore plus haut et si les subprimes, au lieu d'être une cause, ne sont pas une conséquence, et essayer de vous montrer en quelques mots pourquoi.

Souvenez-vous de cette réflexion que nous avons déjà faite dans des réunions de cet ordre et notamment lors du Congrès fondateur de notre mouvement.

Où était la rupture dans ce modèle qui dominait la globalisation que j'appelais, par commodité, le modèle américain ? Où était le virus ?

Selon moi, le virus est celui-ci : ce modèle -certains diront néolibéral, d'autres diront néo-conservateur, anglo-saxon diront les troisièmes- a choisi une orientation en contradiction profonde avec ce qu'a été l'histoire de l'Europe et l'histoire de l'Occident sur les 150 dernières années.

Pour faire simple, durant les 150 dernières années se sont déroulées en Occident -et quand je dis Occident, c'est vraiment au sens large, de la Californie jusqu'à Vladivostok, en passant par chez nous évidemment…- ce modèle reposait sur une idée toute simple qui était que le progrès technique, technologique, scientifique et économique, allait effacer les inégalités ou, en tout cas, restreindre les inégalités.

Au fond, tout le monde vivait avec cette idée, comme nous en France. Nous vivions avec cette foi dans le progrès économique américain et, excusez-moi de le dire, malgré les crimes que je n'oublie pas, on vivait aussi vaguement avec cette idée à Moscou… Tout le monde vivait avec cette même idée selon laquelle, en accompagnant le progrès, on allait effacer les inégalités.

Quelque chose s'est produit au début des années 1980. Margaret Thatcher a été élue en 1979 et Ronald Reagan en 1981. Ils sont inspirés par la même école, un mouvement de pensée que vous connaissez sous le nom de Friedman ou de Hayek.

C'est une pensée tout à fait structurée et tout à fait forte. Avant de l'adopter, Georges Bush -le père, pas W... !- disait : « C'est une pensée vaudou ». Ne voyez là aucune allusion à l'actualité judiciaire récente...

C'était le mot qu'il utilisait pour parler de la pensée de Ronald Reagan. Cette pensée a dit, en tout cas aux initiés, parce que l'on n'a évidemment jamais osé le dire devant l'opinion publique, qu'il fallait abandonner cette idée de la réduction des inégalités, que ce qui était meilleur pour la créativité des sociétés, c'était l'acceptation des inégalités et même la volonté de voir les inégalités se perpétuer et croître !

C'est ainsi que l'on a vécu les vingt dernières années aux États-Unis.

Il y a encore un rapport de l'OCDE que j'ai eu l'occasion de lire, il y a quelques heures ou quelques jours, qui le montre de la manière la plus éclairante. On a vu ce qui a été dit encore par Nicole Maestracci à cette tribune, à savoir, ces dernières années, les riches devenir plus riches et les pauvres devenir plus pauvres.

Dans cette société où le progrès régnait en maître, où l'on avait l'impression que les découvertes techniques succédaient aux progrès technologiques, les riches devenaient plus riches et les pauvres devenaient plus pauvres, et pas qu'un peu !…

Aux États-Unis, sur les vingt dernières années, le prix du travail non qualifié a baissé et, aux États-Unis, ces dernières années, 50 % de la création de la richesse du peuple américain était captée par les 1 % les plus riches de la société américaine !

Les riches deviennent plus riches et les pauvres deviennent plus pauvres. Ce n'est pas une dérive, c'est le centre même du système dans lequel on se trouve. Alors, pardonnez-moi de le dire, si c'est cela la réalité sociale américaine et -on est nombreux à pouvoir le dire- et les sociétés anglo-saxonnes, il n'existe qu'un moyen d'éviter que dans une telle situation les tensions sociales débordent et, ce moyen, c'est la drogue !

Je parle de la drogue qui est donnée aux pauvres : à savoir le crédit surabondant et tant pis s'ils ne peuvent pas payer. Ainsi, les subprimes, dont le remboursement était hors de portée des emprunteurs, ce n'était pas seulement un moyen d'enrichissement pour les banques, c'était aussi un moyen d'engourdir, par la consommation artificielle, le malaise des pauvres gens. C'est précisément ce modèle que l'on voulait nous imposer en France et c'est cela que nous avons refusé et nous avons eu bien raison de le refuser.

Maintenant, ne vous trompez pas, je décris ce phénomène pour les États-Unis, mais même s'il est de moindre portée, nous avons tout de même cette situation en France, situation dans laquelle les productions de richesses supplémentaires sont majoritairement captées par la partie la plus favorisée de la population.

Excusez-moi de le dire, le bouclier fiscal et la loi Tepa ne sont pas autre chose que cette volonté de favoriser les plus aisés pour donner de l'énergie à la société.

Maintenant, bien entendu, qu'il y a le feu, il s'agit de faire appel aux pompiers et à des mesures d'urgence. Ces mesures, vous le savez, ont été élaborées après quelques semaines d'hésitation, mais définies par les Européens et, au bout du compte, je trouve cela bien. Elles sont apparues plus justes, plus opportunes que le plan qui avait été proposé par les Américains.

Cette double idée proposée par le Premier Ministre britannique s'est révélée rassurante : Gordon Brown se déclarait prêt à soutenir les banques, y compris en entrant dans leur capital et en créant un grand système assurantiel pour les crédits interbancaires. Je l'ai soutenue.

Nous avons voté « pour » à l'Assemblée nationale et au Sénat, et nous avons voté « pour » en particulier, je dis cela à mi-voix et avec prudence, car il existe une chance, à la différence du plan américain, pour que ces crédits n'aient pas à être mobilisés.

J'ai dit « une » chance. Je n'ai pas dit une « grande » chance. Je n'ai pas dit une chance « certaine », mais il y a une « petite » chance que l'édification de cet ensemble de réponses apparaisse comme rassurante pour les acteurs des marchés.

Nous avons soutenu ce plan, car nous savons ce qui serait autrement arrivé, c'est-à-dire le chaos et, dans le chaos, dans les faillites des banques, l'histoire nous l'a enseigné mille fois, tout le monde "trinque", tout le monde est victime et d'abord évidemment les plus faibles, dans leur emploi, dans leur sécurité dans leur épargne, dans leur retraite.

C'est pourquoi je le dis, chaque fois que nous devrons faire preuve de responsabilité, nous le ferons. C'est notre charte, c'est notre manière d'être, c'est notre choix et c'est notre identité. 

Crise financière, crise économique, crise sociale.

Maintenant, par conséquent, puisque nous n'avons pas pu éviter cette crise, il y a, devant nous, deux crises très importantes, l'une est la crise économique, l'autre est forcément une crise sociale.

Je veux simplement dire ceci. Il y a une crise profonde dans l'esprit public, parce qu'il y a deux questions désormais dans tous les esprits, dans les esprits des Français qui ne font pas de politique, ceux qui se contentent d'écouter la radio le matin, ceux qui entendent tous les jours dans le discours de la veille que l'on a annoncé 10, 20, 30, 50, 400 milliards pour la crise, deux questions que les Français ressassent, qu'ils vont ressasser pendant les années qui viennent, deux questions qui mettent en colère.

La première question est la suivante : où trouvent-ils tous ces milliards ? D'où sort cet argent, alors que l'on nous disait que l'État était ruiné ?

Cette première question, ne vous y trompez pas, est une remise en cause de tout le travail qui avait été fait pour rendre l'État plus sobre et les comptes plus équilibrés.

La deuxième question est la suivante : pour les banques, pour les banquiers, ils trouvent tout l'argent dont ils ont besoin, par milliards et sans limites, mais pour nous, pour notre vie, pour l'éducation, pour la santé, pour l'emploi, pour nos usines, c'est moins et parfois même c’est rien.

Cette question, en période de plans sociaux, de chômage annoncé, de restrictions de toute nature, peut annoncer une crise sociale.

Ces deux crises, crise morale et d'équilibre et crise sociale, sont devant nous et sont évidemment des conséquences de la crise, même si l'on en a évité les effets les plus dévastateurs.

Tout cela, car la pédagogie de cette crise n'a pas été faite. On se contente de nous annoncer à grands sons de trompe que l'on va « refonder » le capitalisme. Passons d'abord sur la naïveté qui consiste à croire que l'on peut dicter à des mécanismes en œuvre depuis le début des temps de se plier à la volonté politique ou publicitaire et de le faire, non pas comme Jean Monnet imaginait de le faire, dans la conviction et la discrétion, mais de le faire par le bras de fer et la mise en scène.

Je crois qu'il n'y a pas beaucoup de chances que cela fonctionne selon les méthodes qui sont, jusqu'à maintenant, celles de la communication.

Toutefois, je veux aller plus loin que cette apparence. En réalité, on chante la vertu supposée d'un capitalisme idéal en clouant au pilori le capitalisme réel. On cherche à nous faire croire qu'il y aurait un capitalisme vertueux, le gentil capitalisme des affaires d'autrefois, perverti par le méchant capitalisme financier, et qu'il faudrait retrouver le premier en supprimant le second.

Pour cela, évidemment, on brûle ce que l'on adorait hier. J'espère qu'il ne vous a pas échappé que Hugo Chavez a salué hier soir la « conversion socialiste » de Nicolas Sarkozy ! Ce n'est pas une galéjade et cela doit, entre nous, faire bien rigoler du côté du Fouquet's…

Cependant, au-delà de cette apparence un peu burlesque, baroque, je crois qu'il y autre chose, une tentative de redorer le blason du capitalisme comme modèle de société et ceci constitue une question pour nous et pour les Français, pour la France, pour l'histoire de la France, car les mots en « isme » ont, voyez-vous, une vertu. Ils disent l'essentiel. En un seul mot, ils forment un drapeau et un acte de foi. 

Capitalisme, libéralisme… humanisme

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